MÉMOIRE DE LA CONFÉRENCE CANADIENNE DES ARTS

Introduction

La Conférence canadienne des arts (CCA) est heureuse de présenter ce mémoire dans le cadre des consultations pré-budgétaires 2012 initiées par le Ministère des finances. La CCA aimerait avoir l’occasion de présenter ses recommandations au Comité permanent des finances à Ottawa, Montréal ou Toronto.

La CCA est l’organisme parapluie le plus ancien et le plus vaste du secteur culturel canadien. Elle est le forum national de l’ensemble des communautés artistiques, culturelles et patrimoniales, toutes disciplines et toutes régions confondues. La mission de la CCA est de produire des recherches et des analyses, d’organiser des débats et de donner des conseils sur les politiques publiques fédérales qui concernent  les arts, les institutions et les industries culturelles au pays.

Dans ce mémoire, la CCA mettra l’accent sur les raisons pour lesquelles le gouvernement fédéral devrait maintenir et si possible, accroître ses investissements dans le secteur des arts, de la culture et du patrimoine. Nous avancerons de plus que le gouvernement devrait adopter des mesures fiscales qui reconnaissent qu’un grand nombre d’artistes et de créateurs sont en fait des travailleurs autonomes ou des entrepreneurs qui gèrent des entreprises de petites et moyennes dimensions.

1. Comment assurer une reprise économique soutenue au Canada

Investir dans le secteur culturel

Investir dans les arts et la culture et appuyer l’économie créative, c’est appuyer l’économie dans son ensemble.

L’Hon. James Moore, ministre du Patrimoine, à l’émission Q de CBC Radio, le mardi 12 juillet 2011 (trad. libre)

En temps de récession, il est plus important que jamais d’investir dans les arts.

Boris Johnson, maire de Londres (UK) (trad. libre)

Les nouvelles en provenance de Washington et de l’Europe créent une volatilité croissante des marchés boursiers et augmentent la crainte que l’économie mondiale soit à nouveau plongée dans une récession globale. Nul doute que lors de la crise économique de 2009/10, le Canada a mieux tiré son épingle du jeu que la plupart des autres pays du G 20 : il n’en demeure pas moins que l’économie canadienne est grandement exposée aux aléas internationaux et qu’elle est particulièrement sensible à ce qui se passe aux États-Unis, son principal partenaire commercial. C’est dans ce contexte de fragilité et de fluidité que le gouvernement canadien doit préparer le budget de 2012 et son approche fiscale à plus long terme. La CCA avance que dans l’environnement actuel, la stratégie la plus appropriée est d’investir prudemment dans les secteurs de croissance. Une telle approche devrait guider les décisions du gouvernement en ce qui a trait au secteur des arts, de la culture et du patrimoine. Compte tenu des faits en présence, la CCA croit qu’afin d’assurer une reprise économique soutenue au Canada, ou à tout le moins afin d’atténuer l’impact d’une autre crise économique imminente, il serait sage de maintenir, voire d’augmenter dès que possible les investissements fédéraux dans les arts et la culture.

Le secteur des arts et de la culture contribue plus de 46 milliards de dollars à l’économie canadienne et soutient plus de 640 000 emplois, soit trois fois plus que le secteur des assurances ou deux fois plus que celui de la foresterie. Globalement en 2007, considérant les intrants directs, indirects et induits, le secteur culturel a contribué 84,6 milliards de dollars au produit intérieur brut.[1] Le secteur arts et culture est donc une composante importante de l’économie dans un marché global hautement compétitif.

Le secteur culturel assure d’importants retours sur les investissements des divers paliers de gouvernement. Ce secteur a la capacité unique de mettre rapidement en action les sommes qui y sont investies et ce, avec des coûts d’administration remarquablement bas. De plus, un investissement relativement modeste en culture se traduit presque toujours par une hausse du niveau d’emploi.

Les preuves abondent à l’effet que chaque dollar investi en culture produit des résultats impressionnants. Selon le Conference Board du Canada, pour chaque dollar de valeur ajoutée au produit intérieur brut par les industries culturelles canadiennes, 1,84 dollars s’ajoute à l’ensemble du PIB. Hill Strategies note pour sa part que pour chaque dollar investi par le gouvernement, les arts de la scène génèrent 2,70 $ en revenus non-gouvernementaux.[2]

Enfin, comme l’avance l’étude récente Creative Capital Gains: An Action Plan for Toronto, co-signée par l’ancien ministre de l’Industrie Jim Prentice, le secteur privé ne saurait remplacer complètement les investissements publics:

En général au Canada, le financement du secteur privé suit celui du secteur public. C’est par le biais des systèmes de subventions publics que les artistes et les organismes culturels reçoivent les premiers investissements cruciaux qui les aident à bâtir les fondations de leurs pratiques artistiques. En mettant l’accent sur l’excellence, le jugement des pairs, la gouvernance et l’imputabilité, le financement public confère de la crédibilité aux artistes et aux organisations émergentes, tout particulièrement à tous ceux qui créent des œuvres nouvelles marquées par l’innovation et la créativité.[3] (trad. libre)

2. Comment créer des emplois durables et de qualité

Une autre raison d’investir dans les arts prend racine dans les caractéristiques mêmes de la main-d’œuvre culturelle. Ceux qui ont choisi de poursuivre une carrière dans les arts et la culture constituent au sein du marché du travail au Canada un contingent de professionnels dynamiques. Généralement plus scolarisés, ils comptent dans leurs rangs un plus grand nombre de travailleurs autonomes et font souvent preuve de multidisciplinarité dans divers champs d’activités. Le Cultural Careers Council of Ontario affirme : « les artistes pourraient bien être les modèles de la façon dont nous travaillerons à l’avenir : indépendants, avec un sens de l’entreprise et s’appuyant davantage sur leurs réseaux individuels que les organisations conventionnelles ».[4]  Le pourcentage de travailleurs autonomes dans le secteur culturel (26%) est deux fois plus élevé que dans l’ensemble de l’économie canadienne (12%).[5]

Dans l’environnement de créativité économique fourni par les nouvelles technologies numériques, les artistes sont plus que jamais à l’avant-garde de l’innovation et de l’entreprenariat. Une forte proportion du secteur culturel est constituée de petites et de moyennes entreprises qui s’adaptent continuellement aux changements du marché et adoptent de nouveaux modèles d’affaire. Pour gagner leur pain dans l’économie de la culture, les artistes, créateurs et travailleurs culturels doivent développer toutes les habiletés liées à l’entreprenariat. Les entreprises qu’ils lancent, qu’il s’agisse de galeries d’art, de boutiques d’artisanat, de librairies ou de lieux de spectacle sont une des composantes essentielles du caractère unique et de la qualité de vie dans nos communautés.   

Comme les autres propriétaires de petites et moyennes entreprises, ils contribuent à la création d’emploi autant sinon plus que les entreprises plus considérables. Selon une étude publiée par l’Observatoire de la culture du Québec, le nombre de travailleurs en culture et en communications dans cette province a crû de 29,3% entre 1996 et 2006 et de 26,8% dans le reste du pays.[6] Une étude récente produite pour la ville de Toronto affirme que

Les industries créatives croissent plus rapidement que les services financiers, les industries médicales et de biotechnologie, et celles de l’alimentation; les emplois créatifs croissent deux fois plus vite que l’ensemble de la main-d’œuvre. Le secteur emploie actuellement plus de 130 000 personnes, ou 5% de la main-d’œuvre de la grande région métropolitaine de Toronto.[7]

On trouve par ailleurs la même proportion de travailleurs dans le secteur culturel et celui des communications au Québec (5%), où leur nombre atteignait 189 000 en 2006[8]. Et comme le montre l’étude de Toronto, l’impact de ces travailleurs dépasse de beaucoup les confins du secteur lui-même.

Le secteur culturel est en évolution constante non seulement pour affermir sa présence au Canada mais également pour développer des publics à l’étranger, un passage obligé compte tenu que notre pays peut s’enorgueillir d’un contingent artistique et créatif sans commune mesure avec une population relativement faible. D’où l’importance de pouvoir compter sur l’appui du gouvernement fédéral pour développer les marchés intérieurs autant qu’extérieurs par le biais de la tournée des artistes, des organisations et des œuvres. Enraciné dans une diversité culturelle de plus en plus grande, la créativité canadienne est une ressource naturelle inépuisable et non-polluante qu’il importe de développer si l’on veut faire croître l’économie canadienne.

3. Comment maintenir les taux d’imposition à des niveaux relativement faibles

Plusieurs économistes avancent que pour stimuler l’économie, il est préférable de réduire le fardeau fiscal qui pèse sur les entreprises de petite et de moyenne taille plutôt que celui des plus grandes compagnies[9]. La culture tombe dans cette catégorie.

Au fil des ans, la CCA et plusieurs de ses membres ont fait des recommandations en ce qui a trait à l’étalement du revenu pour les artistes et créateurs, lequel peut fluctuer grandement d’une année à l’autre. Nous sommes toujours convaincus que le régime fiscal devrait tenir compte des réalités dans lesquelles évoluent les artistes.  Ainsi plutôt que de taxer au taux maximum le revenu annuel d’un artiste, revenu qui peut être exceptionnellement élevé, imposer une moyenne répartie sur quelques années créerait un environnement financier plus stable pour cette classe de travailleurs et reconnaîtrait dans les faits l’investissement de plusieurs années souvent requis pour la production d’une seule création.

Tenir compte de ces réalités signifie également que le revenu provenant de droit d’auteur ou de paiements résiduels, tout comme les bourses accordées aux artistes et créateurs, devraient être exempts de taxation. Depuis plusieurs années déjà, le Québec exempte certains niveaux de revenu de droit d’auteur. Ce régime, qui s’applique à tout auteur d’une œuvre générant un revenu lié à sa propriété intellectuelle, a pour effet de corriger la pénalité implicite de la Loi de l’impôt sur le revenu : on encourage ainsi ceux et celles qui cherchent à gagner leur vie de leurs œuvres. En établissant un niveau raisonnable de revenu ainsi exempt d’impôt, le gouvernement pourrait s’assurer que seulement les auteurs et artistes dont le revenu est modeste profiteraient de cette déduction. De telles mesures ne coûteraient pas cher au trésor public et ne seraient pas difficiles à administrer. Elles seraient cependant d’un grand bénéfice pour les travailleurs culturels autonomes et constitueraient un investissement significatif dans la créativité des Canadiens.

Une autre approche, que nous favorisons dans ce mémoire, consiste à permettre aux artistes et créateurs professionnels d’utiliser le revenu de l’année d’imposition comme référence pour établir le niveau de contribution à un régime enregistré d’épargne retraite. Encore une fois, un tel régime existe au Québec et il serait facile de l’étendre à l’ensemble du pays au niveau fédéral. Une telle mesure permettrait aux artistes d’échapper à des niveaux inéquitables d’imposition et de protéger une portion du revenu gagné au cours d’une année faste.

4. Comment atteindre un budget équilibré

Bien qu’elle reconnaisse que ce soit un objectif important auquel elle souscrit, la CCA estime qu’il pourrait ne pas être prudent de faire de la recherche d’un budget équilibré une priorité immédiate et urgente du gouvernement du Canada. Compte tenu du climat économique actuel et de la possibilité croissante d’une autre récession, les arguments ne manquent pas pour suggérer que de faire des investissements prudents dans des secteurs à forte croissance serait tout aussi, sinon plus, important encore. Nous sommes convaincus que le secteur culturel constitue justement une occasion d’investissement pour les divers paliers de gouvernement.

Tout en reconnaissant la nécessité de commencer à réduire le déficit budgétaire annuel, la CCA avance qu’il serait de courte vue de diminuer considérablement les investissements dans le secteur culturel : ce secteur est une importante composante de l’économie du savoir, laquelle représente l’avenir de notre pays. En cette ère numérique, il est de la plus grande importance pour une nation d’investir non seulement dans les infrastructures mais également dans le développement et la production de contenus. Le Canada se doit d’appuyer le développement de toutes les formes de contenu culturel qui reflètent notre identité comme nation, contribuent à notre image à l’étranger et appuient nos objectifs commerciaux sur la scène internationale, tout en apportant une contribution financière significative à notre économie domestique.

Conclusion

Ce que le Canada fait de mieux – mieux que n’importe qui d’autre au monde – c’est la propriété intellectuelle, c'est-à-dire la musique, les arts de la scène, le théâtre, la télévision et le film. Nous faisons cela mieux que quiconque. Nous devons nous assurer que l’ensemble des politiques gouvernementales, et pas seulement le financement, mais la législation sur le droit d’auteur, les investissements, appuient la contribution du secteur privé pour faire en sorte que la culture jouit d’une base stable qui ne vient pas seulement des contribuables. Tous ces facteurs doivent converger pour faire en sorte que le Canada est en tête de peloton sur la scène internationale.

L’Hon. James Moore, ministre du Patrimoine, à l’émission Q de CBC Radio, le mardi 12 juillet 2011 (trad. libre)

Au-delà des investissements et des mesures fiscales, le gouvernement dispose d’autres modes d’intervention pour assurer la santé du secteur culturel au sein de l’économie canadienne. D’abord et avant tout, l’élaboration d’une stratégie nationale pour l’économie numérique. Il est crucial de porter attention non seulement aux investissements dans les infrastructures physiques mais également dans la production de contenu canadien auquel nos concitoyens et le monde entier peut avoir accès.

Une des composantes-clés de cette stratégie doit être le respect de la propriété intellectuelle, ce qui veut dire qu’il nous faut moderniser la Loi sur le droit d’auteur de sorte que les artistes et les créateurs, tout comme l’ensemble des travailleurs intellectuels, reçoivent une compensation juste et raisonnable pour l’innovation et la créativité dont ils font preuve dans la production de leurs œuvres. Le gouvernement déposera prochainement un projet de loi sur la propriété intellectuelle et la CCA invite tous les parlementaires à faire en sorte que les artistes soient compensés équitablement pour l’utilisation de leurs œuvres dans l’économie numérique. C’est ainsi que nous pourrons contribuer non seulement à l’économie canadienne mais également à notre identité nationale et à notre réputation internationale. 

Enfin, la CCA rappelle encore une fois que tous les secteurs de l’économie canadienne, incluant celui des arts et de la culture, et les divers paliers de gouvernement ont besoin de statistiques fiables et à jour pour planifier et évaluer besoins, les politiques et les programmes. Au cours des quinze dernières années, à la suite de réductions budgétaires répétées, les statistiques culturelles canadiennes, autrefois réputées internationalement, se sont dégradées au point ou le secteur doit se rabattre trop souvent sur des données périmées. Disposer de données régulières sur la main-d’œuvre, les exportations et les nouvelles formes d’activité culturelle est un instrument essentiel pour que prospère ce qui deviendra assurément une dominante dans l’économie post-industrielle du Canada. La CCA espère donc que le gouvernement continuera à appuyer les efforts de Statistiques Canada et du ministère du Patrimoine en vue de développer un compte satellite en culture semblable à ceux qui existent déjà pour le tourisme, le transport et le secteur du bénévolat.

Recommandations:

1.    Maintenir, et si possible, accroître le budget du Conseil des arts du Canada afin qu’il atteigne le plus tôt possible 300 millions de dollars par année.

2.    Investir 40 millions de dollars dans la tournée nationale et le développement de marchés étrangers pour nos artistes et créations artistiques.

3.    Changer les règles des régimes enregistrés d’épargne retraite pour permettre aux travailleurs autonomes que l’année de taxation serve de référence pour l’établissement du niveau de contribution à un REÉR.



[1]      Valoriser notre culture: mesurer et comprendre l’économie créative du Canada, Conference Board du Canada, août 2008.

[2]      Finances of Performing Arts Organizations, Hill Strategies, novembre 2008.

[3]      Creative Capital Gains: An Action Plan for Toronto, (co-signé par James Prentice, Karen Kain, et Robert J. Foster), p. 11

[4]      Enriching our Work in Culture: Professional Development in Ontario’s Cultural Sector, Cultural Careers Council Ontario, mars 2008.

[5]      The Effect of the Global Economic Recession on Canada's Creative Economy in 2009, Conference Board of Canada/Cultural Human Resources Council, November 2009.

[6]      Les professions de la culture et des communications au Québec en 2006, Observatoire de la culture du Québec, septembre 2010, http://www.stat.gouv.qc.ca/observatoire/publicat_obs/pdf/Stat_BrefNo66.pdf

[7]      Creative Capital Gains: An Action Plan for Toronto, (signed by James Prentice, Karen Kain, and Robert J. Foster), p. 8

[8]      Idem, ibidem

[9]      Voir:  David Halabisky, The Growth Process in Firms: Job Creation by Firm Age, Industry Canada, 2006 http://www.ic.gc.ca/eic/site/sbrp-rppe.nsf/eng/h_rd02114.html ;  Eileen Fisher, Rebecca Reuber, et al., The State of Entrepreneurship in Canada, Industry Canada, 2010 http://www.ic.gc.ca/eic/site/sbrp-rppe.nsf/eng/h_rd02468.html Public Works and Government Services Canada  http://www.tpsgc-pwgsc.gc.ca/app-acq/pme-sme/importance-eng.html